All in. (part 2)

          Arthur Jii sortit péniblement de sa Box, et se dirigea vers la fenêtre en plissant les yeux. Il avait laissé ses holoptix sur le siège de l’appareil et dut toucher la vitre pour filtrer davantage la lumière des écrans.
Les immenses dalles disposées en nid d’abeilles surplombaient les environs comme la carapace que quelque insecte technologique aurait laissé en reliquat d’une mue providentielle. En plus de dispenser un kaléidoscope des climats et programmes locaux, elle protégeait la population de l’atmosphère méphitique qui traînait en suspens depuis ‘La Vraie Dernière Guerre’.
A cet étage de l’une des tours principales de la Défense, Arthur aurait presque pu tendre le bras et les toucher tant il en était près. L’imposant édifice perçait même au-delà du dôme, aux étages supérieurs, mais il ne s’y était jamais aventuré. Du reste, il fallait gravir un escalier en colimaçon, à pied tout du long, et si, plus jeune, il était monté toucher la porte comme un défi à son paternel, cela lui aurait demandé aujourd’hui un effort quasi surhumain.
Il s’était toujours imaginé, débouchant un jour à la surface, parcourant la paroi en scrutant l’horizon sur des kilomètres à la ronde, le regard s’épanouissant davantage à chaque touche végétale que les robots avaient enfin fini de déposer pour faire perdurer un air respirable.
Mais il était appelé ailleurs…
Peut-être même un peu plus loin, songea-t-il en reconnaissant le film dont avait été extraite la vue qui composait le fond du ciel du moment. Out of Africa. C’était tout juste si Arthur n’entendait pas au loin les rugissements égarés d’un lion camouflé que les techs auraient manqué au remontage. Ou l’écho furtif d’un passé lointain devant la vidéothèque de ses grands-parents qui n’en terminait de s’effondrer.
Toutes ses affaires réglées, il attendait de rejoindre le défilé qui poursuivait sa longue procession deux centaines de mètres plus bas, traversant tout Paris dans le faste et les chromes que l’on pouvait décemment accorder à l’événement, avant que chaque Box ne regagnât l’emplacement qui lui était attribué pour le début du tournoi. Ensuite, les places dans les navettes se libéraient et se remplissaient au gré des gains accumulés par le représentant de leurs alliances respectives pendant les quatre journées que durait l’événement. Arthur Jii, comme chacun de ces joueurs, se verrait redirigé vers l’ascenseur spatial et accueilli à bord du gigantesque satellite géostationnaire où se déroulait la partie.
Longue tradition d’une mascarade de logistique n’aboutissant jusqu’alors à nulle mise à feu… Mais le jeu ne commençait qu’une fois les jetons sur la table.
Le Président de l’Arche de la Défense arriva tout juste avec le passe qui lui permettait de s’y installer : le Qioube, la compilation de toutes les archives de son Alliance sur un seul support.
Encore étonné d’apercevoir le reflet du vieil homme dans la vitre, Arthur mit un certain temps avant de se retourner pour l’accueillir. L’ancien s’était déjà mis au travail. Il s’approcha pour contempler des doigts agiles retrouvés toute leur aisance et officiés avec la juste précision de l’alchimiste minutieux.
Le silence d’à-propos, seulement ponctué des déflagrations d’arcs électriques dont les ponts s’activaient, malgré sa splendeur, menaçait de devenir abyssal, et le défilement des lignes de code n’allait pas retenir plus longtemps l’attention d’Arthur, pressé par l’imminence de l’événement : « Waou, ça va être un putain de bordel ici les jours prochains, s’esclaffa-t-il avant de reprendre sur un ton plus solennel ; ça va être un sacré foutoir dans les environs les jours prochains. Qu’il ait été économiquement plus intéressant de pointer vers une case du Qioube que d’en marquer la valeur mémoire, je n’ai pas mon mot à dire, mais privées du système de connaissance commun, de nombreuses routines…
– Allons, allons, préoccupe-toi de ce qui importe, l’interrompit le vieil homme, nous nous débrouillerons sur papier en attendant, comme nous l’avons toujours fait. Nous en avons recopié une partie aux Archives, et puis nous avons un joli stock de support Vidéo Digital. Nous tiendrons jusqu’à ce que tu nous restaures l’unité mémorielle. Ah, voilà, il est installé. Plus qu’une réinitialisation et tout devrait être reconfiguré à merveille ! Alors Arth’, tu as eu le temps de mettre au point une stratégie ? »

Nouvelle à suivre : All in. (Part 1)

          Michaël Revancha regarda sa main et leva les yeux au ciel, de manière intérieure bien sûr même si derrière le tout dernier modèle de lunettes special poker de chez Ray X, son regard restait imperceptible.
          Oh, Grand V, pensa-t-il plusieurs fois avant d’entamer une obsécration routinière pour ne pas trahir l’émotion qui manquait déferler en un sourire ravageur à chaque nouveau battement de cœur.
          S’il avait été chez lui, il aurait discrètement commandé une pizza-pute et aurait laissé la pizza pour plus tard.
          Il tripota une colonne de jetons, la coupa en deux puis la recomposa, faisant mine d’hésiter à se lancer dans le coup… Mais c’était tout vu ! S’il entraînait les deux autres dirigeants qui restaient à la table finale de cet U.A.P.T. avec sa paire de rois, la victoire était sienne ; il en savourait juste les prémices comme le frétillement d’une langue taquine amorçant la royale apogée.
          Jusqu’au feu d’artifices marquant la fin d’une épique saison.
          Comme son peuple aurait été fier de lui ! Il aurait encore fait prospérer son alliance le prochain semestre, enchaînant les campagnes sans perdre le moindre de ses sujets, gagnant même de l’espace de stockage, si précieux, en comptant cette nouvelle victoire, et ceci jusqu’au prochain tournoi organisé à bord – le seul qui comptât.
          En gagnant le précédent, il s’était assuré la mainmise sur pratiquement 85 pour cent du territoire virtuellement colonisé de Mars ; terrain que ses forces armées finissaient de conquérir en ce moment même dans une dernière bataille, baptisée ‘’Vrai œil De l’Aigle’ en symbole de sa totale domination.
          Diffusion en simultané sur une chaîne alliée, comme le rappelait un spot TV récurrent à la limite de l’insoutenable. Mais Michaël Revancha le savait, les spectateurs le savaient, ils ne se trompaient pas en choisissant son programme. Ce tournoi avait ceci d’exceptionnel que la décision finale prendrait effet immédiatement : ce tour de table aurait été bien parti pour lancer le départ des astronefs placés en attente dans leurs rampes de lancement.
          Ne manquait que le rapport de la mission d’exploration qui devait entériner sa décision ; Em. Simon devait l’envoyer dès le rétablissement du canal de communication avec Mars.
          Les astres se mettaient en place à la bonne heure, 16H13, ça ne devrait plus tarder maintenant ; une grosse poignée de minutes, juste le temps de faire table rase !
          Michaël Revancha avait pris plus que celui d’évaluer les tas des deux autres joueurs, il misa juste de quoi couvrir le tapis de la petite blind, presque tremblant, mais suffisamment pour titiller Arthur Jii et l’amener au tapis s’il s’embarquait.
          Le Grand DVD marche à mes côtés, se répéta Michaël, allons voir ce flop !